lundi 18 mars 2019

Histoire et patrimoine de Sainte Brigitte en Morbihan

Les mystères de l'église de Sainte Brigitte (suite de la "Carte Blanche"du 24 février)

En examinant les archives et publications qui concernent Sainte Brigitte, des pans de l'histoire se révèlent, permettant des hypothèses plausibles sur l'église. Il est vrai que les nombreux remaniements et travaux contemporains, s'ils révèlent l'intérêt des habitants pour ce monument, ont hélas effacé de précieuses indications sur la chronologie de la construction qui s'étale du XVe au XIXe siècle. Ainsi le remplacement des poutres dans la nef, du clocheton central, la réfection des enduits intérieurs, de la toiture dont le lignolet a perdu son décrochement qui signait une étape de l'agrandissement de l'édifice, sont autant d'étapes qui rendent la lecture de son histoire  plus difficile. Comme Sainte Brigitte se situe en plein domaine des Rohan lorsque la première chapelle est érigée, celle-ci devait sans doute comme la plupart des édifices religieux de cette époque disposer du blason du fondateur ou principal donateur. Dans l'église actuelle, il n'y a plus aucun blason de ce type mais il reste des éléments importants comme les croix huguenotes peintes sur les autels ou retables latéraux, du chevet actuel.
Croix huguenote à huit branches: église Ste Brigitte
Ces croix rappellent le passé protestant de Quénécan et du domaine de Rohan.La croix huguenote à huit pointes et la colombe (représentation de l'Esprit Saint) est créée en 1688, après la révocation de l'Edit de Nantes par Louis XIV. Ces peintures qui encadrent l'autel principal sont donc postérieures à cette date. Que savons-nous aujourd'hui de ce XVIIe siècle à Sainte Brigitte?
 cette époque la trève de Saint Brigitte dépend de Cléguérec et le Seigneur du pays est d'abord le Vicomte Henri II de Rohan (1579-1638) qui est protestant. Ce personnage historique va jouer un rôle essentiel dans l'implantation du protestantisme dans Quénécan (le "Pays noir" d'Irène Frein dans son livre "Sorti de rien").C'est lui qui va rompre la tradition d'inhumation des Vicomtes de Rohan dans l'abbatiale de Bon-Repos. En 1603, il devient Duc de Rohan par décision du roi Henri IV. Henri Duc de Rohan, Prince de Léon et Généralissime des armées protestantes décide en 1622 d'implanter un haut-fourneau en aval de l'étang du même nom, dans sa forêt de Quénécan. Il confie un bail de 1622 à 1646 à Geoffroy Fineman d'Angecourt, un huguenot venu du pays de Sedan qui arrive sur Sainte Brigitte avec plusieurs familles huguenotes (le culte protestant sera célébré au château des Salles aujourd'hui ruiné, près de l'étang des Salles). Ce Geoffroy Fineman d'Angecourt dirige en 1620, une forge en Suède (contrat avec Louis de Geer.publication A. Le Coroller) et nous voyons apparaître ici la Suède et la Brigitte de Suède qui est vénérée dans l'église.

Sainte Brigitte de Suède (XVIIe)
La couronne sur la tête de la sainte ne laisse aucun doute sur le fait qu'il s'agit bien de Brigitte de Suède. Il est possible que cette Sainte Brigitte se soit substituée à cette époque à Brigitte d'Irlande qui était à l'origine du nom de Sainte Brigitte lorsque cette trève apparaît dans la liste des trèves et paroisses de la châtellenie de Gouarec au XIIe siècle (première châtellenie de Rohan dans le pays). Ainsi donc, la famille de Rohan, protestante depuis le début du Duché-pairie va développer l'activité sidérurgique des Forges dans son domaine de Quénécan en favorisant le développement d'une communauté huguenote qui laissera des traces dans le pays et aussi dans l'église dédiée au culte catholique.
Croix pattée alésée arrondie du cimetière
 l'entrée du cimetière actuel, deux piliers sont ornés de la croix pattée. Difficile de croire qu'elles datent du nouveau cimetière (1930) car elles paraissent beaucoup plus anciennes; mais alors d'où proviennent-elles, de l'ancien enclos paroissial, du château des Salles?? Impossible de répondre faute d'éléments concrets.Mais à propos de cette croix qui est aussi celle des chevaliers de Malte  et avant, celle des Hospitaliers de l'Ordre de Saint Jean de Jérusalem, il faut signaler qu'au XVIIIe siècle, un Rohan était le 70e Grand Maître des Hospitaliers de cet Ordre (de 1775 à 1797). Il s'agit d'Emmanuel de Rohan-Polduc (du nom de la terre du Pouldu près de Pontivy, aujourd'hui sur Saint Jean Brevelay). Ce Rohan, né en Espagne est le fils de Rohan du Pouldu qui le 15 août 1719, à la tête d'une troupe de paysans met en fuite les soldats envoyés par la Régence pour collecter un nouvel impôt. Nous sommes dans la "révolte de Pontcallec", ce qui explique la fuite de ce Rohan en Espagne pour échapper au sort du célèbre Marquis!...Ces croix pattées de Sainte Brigitte n'ont pas encore révélé tous les secrets qui s'y attachent et quelques investigations bibliographiques sont encore à venir...
Sources: "Deux héros de Bretagne: le Marquis de Pontcallec et Marion du Faouët" Brice Evain: Histoires et mémoires. Coll: mémoire de mastère2. 2009-436p.
"Les Forges des Salles. 1622-1877" André Le Coroller. Mars 2012. Charles Floquet (à propos du château des Salles en Sainte Brigitte).

dimanche 17 mars 2019

Yan Fañch Kemener

Une voix unique du Kreiz Breizh s'est éteinte le 16 mars 2019

Ceux pour qui la défense et la promotion du patrimoine immatériel de Bretagne représentent un engagement de tous les jours, pleurent aujourd'hui l'enfant de Sainte Tréphine qu'était Yan Fañch. Né dans ce pays Fañch, il capte très vite les rythmes et aussi par la subtilité de sa langue maternelle, la langue bretonne, il permet aux danseurs des festou-noz d'atteindre de mémorables transes. Je me souviens de lui en 1969, il avait 12 ans et venait demander  l'autorisation de chanter gratuitement sur le podium d'un fest-noz local! Que de chemin parcouru depuis, dans la lignée des anciens maîtres à danser du pays: les Grenel, Bolloré, Calvez (Tro Blavet), Dubois et bien d'autres comme Marcel Guilloux ou les frêres Morvan et tant d'autres anciens. Sa voix unique, sa prononciation de la langue et l'extraordinaire précision  rythmique dans les différentes danses du pays en font le dernier grand maître du kan-ha-diskan que nous pleurons aujourd'hui. Dans un centre Bretagne où les danses traditionnelles conservent un pouvoir de liant social puissant, il restera dans la mémoire collective ce "passeur de mémoire" qui nous manque déjà. Sa voix va continuer à nous enchanter par les enregistrements dont le dernier, monumental "Roudennoù" (Traces)!